36 fables à l'usage des électeurs d'Islande et de Norvège

1. De tre bukkene Bruse
        Ceux qui ont habité quelques années en Norvège connaissent bien la fable populaire d'Asbjørnsen et Moe "De tre bukkene Bruse". C'est l'histoire de 3 chèvres qui doivent traverser une rivière sur un pont pour aller à l'alpage. Cette fable très populaire a été évidemment parodiée et détournée dans des buts très variés. En voici une version pré-électorale:
        Par un beau printemps de l'année 2021, les trois candidats de la liste "Ensemble, Français, écologistes et solidaires" souhaitaient aller à la rencontre de leurs électrices et électeurs. Pour ce faire, il leur fallait passer par un pont en bois pour traverser un torrent.
        Le 3e de la liste s'avança le premier. On entendit tripp trapp, tripp trapp, tripp trapp, quand il commença à marcher sur le pont.
- Qui est-ce qui marche sur mon pont ? brailla l'affreux troll macroniste qui habitait dessous.
- Je ne suis que le 3e de la liste "Ensemble, Français écologistes et solidaires", celui qui a le moins de chances d'être élu, lui répondit d'une petite voix le candidat Stéphane… Et en plus, je suis de Sarpsborg. Attends la suivante, c'est la seconde sur la liste!
- Bon, d'accord, passe, beugla l'affreux troll macroniste.
        Quelques instants plus tard arriva la seconde candidate de la liste "Ensemble, Français écologistes et solidaires". Quand elle s'avança sur le pont, on entendit tripp trapp, tripp trapp, tripp trapp.
- Qui est-ce qui marche sur mon pont ? brailla l'affreux troll macroniste qui habitait dessous.
- Je ne suis que la seconde de la liste "Ensemble, Français écologistes et solidaires", celle qui habite en Islande, et n'a pas trop de chances d'être élue, lui répondit la candidate Marion… Attends le suivant, c'est le premier sur la liste!
- Bon, d'accord, passe, beugla l'affreux troll macroniste.
        Quelques instants plus tard arriva le 1er candidat de la liste "Ensemble, Français, écologistes et solidaires". Quand il s'avança sur le pont, on entendit tripp trapp, tripp trapp, tripp trapp.
- Qui est-ce qui marche sur mon pont ? brailla l'affreux troll macroniste qui habitait dessous.
- Je suis le premier de la liste, celui qui est certain d'être élu, lui répondit tranquillement le candidat Thomas.
- Je monte tout de suite te faire la peau, hurla alors l'affreux troll macroniste.
- Viens, si tu veux. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Je suis prêt à t'encorner, toi et tes petits trolls marcheurs. Et il se précipita sur l'affreux troll macroniste, et le renversa.
        Voilà comment Stéphane, Marion, et Thomas passèrent le pont. Ces 3 candidats de la liste "Ensemble" rencontrèrent tant et si bien leurs électeurs, ce printemps-là, qu'ils furent élus tous les 3 en Norvège et Islande, et permirent l'élection d'un sénateur du même bord.
"Og snipp, snapp, snupp, er eventyret ute".

2. Ce que disent les fleurs
  Quand j'étais enfant, j'étais très tourmentée de ne pouvoir saisir ce que les fleurs se disaient entre elles. Mon professeur de botanique m'assurait qu'elles ne disaient rien du tout. Mais moi, je les entendais bavarder tout bas, surtout à la rosée du soir ; elles étaient méfiantes, et elles se taisaient quand j'approchais. Alors, je m'exerçai à marcher si doucement, que je saisis enfin des paroles articulées par leurs petites voix. Je ne sais pas quelle langue elles parlaient. Ce n'était pas du français, mais je comprenais fort bien leur langue, et même mieux que tout ce que j'avais entendu jusqu'alors.
        Elles parlaient de candidats et de leur espoir de voir gagner la candidate écolo. Q'est-ce que des conseillers écolos pouvaient leur apporter ? Certainement quelques visites supplémentaires d'abeilles, et moins de polluants chimiques, surtout pas de néonicotinoïdes. Certainement aussi, autre chose, mais quoi ? Difficile à deviner car je ne savais pas trop ce qu'était un conseiller des Français de l'étranger.
        Quand je racontai à mon précepteur ce que j'avais entendu, il déclara que j'étais malade et qu'il fallait m'administrer un bon purgatif. Mais ma grand-mère m'en préserva en lui disant : – Je vous plains si vous n'avez jamais entendu ce que disent les roses. C'est une faculté de l'enfance et des écolos. Prenez garde de confondre les facultés avec des maladies ! Puis elle me dit: "Garde le plus longtemps possible ta faculté de comprendre le langage des fleurs, ma petite. Moi, je regrette le temps où j'étais moins dure d'oreille, l'époque où j'entendais encore assez bien."

(très librement adapté de G. Sand.   1804-1879)

3. Le beau au bois dormant
        Il était une fois un prince qui rencontra une jeune fée au milieu du bois. Cette fée était, malgré son jeune âge, plus que fatiguée par toutes les histoires de jeunes filles endormies dans la plus haute tour du chateau, attendant 100 ans qu'un prince charmant vienne les réveiller par un baiser. Trop était trop. Alors, elle jeta un sort: ce prince se percerait la main avec un couteau et tomberait dans un profond sommeil, qui durerait jusqu'à ce qu'une conseillère des Français vienne le réveiller. Le roi et la reine, effrayés, firent alors jeter tous les couteaux et autres objets pointus qui se trouvaient dans le chateau.
        Bien des années plus tard, le prince, courant un jour dans le chateau, passa par la cuisine. Une vieille servante y préparait une bonne soupe de légumes. Le voyant, elle cacha prestement le couteau qu'elle tenait en main. Mais le prince, curieux, lui intima l'ordre de lui montrer ce qu'elle venait de cacher dans la poche de son tablier. La vieille servante, tremblante, posa alors le couteau sur la table. Comme la fée l'avait prédit, il se perça la main avec, et tomba évanoui. On n'arriva pas à lui faire reprendre ses esprits. Il était endormi. On le coucha sur son lit, et on prévint ses parents.
        Le roi, se souvenant du sort jeté par la fée, partit jusqu'aux confins du royaume pour essayer de trouver une conseillère, une conFréte, qui pourrait réveiller le prince en lui faisant un gros bisou. Mais il n'en trouva pas, même dans les forêts les plus profondes. Un jour, il rencontra un vieil homme tout ridé qui lui expliqua que les conFréts ne se trouvaient qu'en dehors du royaume, à l'étranger, puisque 'conseillers des Français de l'étranger', et qu'il avait entendu dire qu'il y en avait trois dans le royaume de Norvège.
        Plein d'espoir, le roi envoya des émissaires, qu'il nomma 'électeurs', traverser les mers et les fjords jusqu'au royaume de Norvège. Entreprise hasardeuse, mais c'est ainsi qu'un an plus tard, une conseillère passa par son palais, et fit un tout petit bisou au prince qui se réveilla enfin de son profond sommeil. Il la regarda et lui dit: "Vous vous êtes bien fait attendre ! La mesure de confinement est-elle enfin terminée ? Où suis-je, maintenant ?" Alors, elle lui répondit: "Quelle impatience ! Tu seras bientôt sénateur au palais du Luxembourg, et tu pourra enfin voter des lois solidaires et écologistes. Nous en avons tous grandement besoin".
(très librement adapté de C. Perrault.   1628-1703)

4. Le baron perché
     Je m'en souviens comme si c'était hier. Toute la famille était réunie dans la salle à manger. Mon frère ainé dit: "J'ai dit que je n'en veux pas, et je n'en mangerai pas !" Et il repoussa son assiette d'escargots. Je n'avais jamais vu une telle désobéissance. Le baron, notre père, furieux, lui intima l'ordre de sortir de table. Mon frère sortit alors de la maison, et monta dans le grand chêne du parc. "Quand tu sera fatigué de rester assis sur ta branche, tu changeras d'avis" lui cria mon père. "Je ne changerai jamais d'idée" lui répondit mon frère. C'est ainsi que la vie de mon frère prit un tour peu ordinaire. Il était monté dans un arbre pour protester contre les pressions de son père, et il allait rester agrippé aux branches des arbres toute sa vie, passant d'arbre en arbre, volant des pommes ou des noix au passage pour manger. Ce qui n'était, au départ, qu'un caprice de gamin s'était transformé en mode de vie. Les premières journées dans les arbres, mon frère n'avait aucun programme défini. Tout était subordonné au désir de découvrir et de connaitre son nouveau royaume, le découvrir arbre après arbre, branche après branche, saison après saison, sans jamais mettre pied sur terre. Son monde baignait dans une lumière verte qui changeait avec l'épaisseur du feuillage.
        Il y fit peu à peu un grand nombre de rencontres inattendues, et y vécu aussi une histoire d'amour contrarié. C'est du haut d'une branche qu'il rencontra, un jour, Voltaire qui affirmait avoir maintes fois entendu parler de cet "homme sauvage" comme d'un cas exemplaire du rapport compliqué entre Raison et Nature.
        Perché dans son territoire sylvestre, le baron le surveillait, prêt à donner l'alarme en cas d'incendie. C'est ainsi qu'il comprit que les associations renforcent l'homme, mettent en relief les dons de chacun, et que l'action collective donne une joie qu'on éprouve rarement quand on vit seulement pour son propre compte. A la mort de notre père, il avait hérité du titre de baron, mais était resté dans les arbres. Sa désobéissance, burlesque pour certains, était difficile à vivre, comme toute désobéissance, car il faut, avec une certaine rigueur, suivre une règle différente, 'anormale' diraient certains. Mais aussi, cela lui avait permis de prendre un peu de hauteur pour contempler notre monde. C'est la raison pour laquelle on lui demanda un jour de faire partie de la liste de conseillers "Ensemble, barons, écologistes et solidaires".
(très librement adapté d'I. Calvino. 1923-1985)

5. L'isoloir et les bâtons flottants
            Le premier qui vit un isoloir
            S'enfuit loin de cet accessoire.
Le second approcha. Le troisième, par fortune,
Après y être passé, mit un bulletin dans l'urne.
L'accoutumance ainsi nous rend tout familier :
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
            Nous apprivoise, et puis nous mue,
            Si l'on ne s'est point abstenu.
Et puisque nous voici tombés sur ce sujet:
            On avait mis des gens au guet,
Qui, voyant à l'entrée du fjord certain objet,
            Ne purent s'empêcher de dire
            Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après, l'objet devint brûlot,
            Et puis nacelle, et puis ballot,
            Enfin bâtons flottants sur l'onde.
            J'en sais beaucoup, de par le monde,
            A qui ceci conviendrait bien:
De loin, c'est quelque chose, et de près, ce n'est rien.
    Bon motif de ne pas devenir Norvégien.
(très librement adapté de J. de Lafontaine.   1621-1695)

6. Le feu bleu
    Un jour, les feux de signalisation du grand carrefour passèrent au bleu, un bleu profond et intense, après le rouge. Les gens ne savaient pas s'ils devaient attendre, au bleu, ou traverser, et ce fut très vite la pagaille. Les voitures étaient arrêtées les unes par les autres, des chauffeurs klaxonnaient à en perdre haleine, et d'autres sortaient pour réaliser un beau selfie devant le feu bleu, selfies qu'ils mettaient immédiatement sur les réseaux sociaux, non sans fierté. Finalement, un agent de police arriva, et il ouvrit la boite de commandes pour débloquer le feu, ce qui donna la séquence bleu-blanc-rouge, bleu-blanc-rouge. Le vert avait disparu, et on fit immédiatement courir des rumeurs sur Internet: le ministre de l'environnement avait confisqué le feu vert à son seul profit ! Les spéculations allaient bon train sur le sort terrible réservé à l'orange.
            Quelques heures plus tard, les réseaux annonçaient qu'en fait, tous les feux de circulation de France suivaient la séquence bleu-blanc-rouge, et cela fut confirmé aux infos du soir à la télé. La télé expliquait qu'il en était de même aux Pays-bas, en Islande et en Norvège (ce qui était faux car la séquence y était rouge-blanc-bleu). Par contre, en Chine et au Maroc, les feux de circulation restaient au rouge, ce qui était un moindre mal par rapport à l'Arabie saoudite et la Libye où les feux étaient bloqués sur le vert, ce qui avait provoqué de nombreuses morts. Impossible de revenir à la situation antérieure, et sur certains sites, on parlait déjà de "virus mondial des feux de signalisation" ou Vifsi-21. Comme vous le devinez, les rumeurs complotistes et alarmistes allaient bon train sur Internet.
            En France, les politiciens pensèrent qu'il fallait vite reprendre les choses en main pour éviter que les gilets jaunes ne demandent une augmentation du nombre de rond-points. Le RN et les LR déclarèrent chacun de leur côté qu'ils désiraient depuis longtemps que les feux de circulation affichent les couleurs nationales, même si cela engendrerait des accidents quand on passait d'un pays à un autre. Le président Macron, dans son grand discours télévisé, affirma, en nous regardant droit dans les yeux, que 'le pays des lumières' en avait vu d'autres au cours de sa longue histoire, et qu'il saluait le courage de ses compatriotes qui osaient encore prendre leur voiture, malgré l'absence de feu orange. Il était clair qu'il pensait aux gilets jaunes en disant cela. Il ajouta: "Sachons, dans ce moment historique, sortir des sentiers battus, des idéologies, et nous réinventer à l'instar des feux". Un programme politique, basé sur les feux de circulation, rien de moins ! Quant aux écolos, ils comprirent qu'il fallait immédiatement sauter sur l'occasion et passer du vert au bleu, comme les feux. Leur parti fut rebaptisé EELB (abrégé en 'les bleus'). Le bleu profond étant la couleur de la mer et d'un ciel sans pollution, et le changement climatique ayant la priorité, ils espéraient que tous les Français crieraient bientôt: "Allez, les bleus !", et que la Terre redeviendrait rapidement bleue comme une orange.

(très librement adapté de G. Rodari. 1920-1980)

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